Par Mohamed Abdelaziz
KHARTHOUM, 12 Novembre (KUNA) -- La chute d'El Fasher, capitale de l'État du Darfour-Nord, aux mains des Forces de soutien rapide (FSR), après 18 mois de siège, a ravivé les craintes d'une répétition du scénario du Darfour.
Ces craintes font suite à la découverte de charniers et des signes d’atrocité que les Nations unies craignent, une fois avérés, « constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. »
Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a décidé de tenir une session d'urgence, le 14 novembre, afin d'examiner la situation des droits de l'homme à El Fasher et dans les zones environnantes.
L’ONU a fait état de massacres, de pillages et de déplacements massifs de population après la prise de contrôle de la ville par les FSR, dernier bastion important de l'armée soudanaise dans l'ouest du pays.
La session d'urgence du conseil onusien intervient à un moment où les preuves techniques et relatives aux droits humains convergent de manière inédite.
Il est prévu que cette session comprenne la présentation de rapports de l'ONU et d'images satellites révélant la présence de charniers aux alentours d'El Fasher.
S’attardant sur la situation à El Fasher, le président de l'Association des avocats du Darfour, Saleh Mahmoud, a déclaré à l’Agence de presse du Koweït (KUNA) que ce qui s'est passé dans la ville depuis le 26 octobre « constitue des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, dont certains pourraient être qualifiés de génocide ». Il a souligné que « ces crimes sont imprescriptibles et ne peuvent faire l'objet d'aucune grâce ».
Il a souligné que son association avait maintes fois interpellé les Nations unies et la communauté internationale pour protéger les civils et ouvrir des couloirs humanitaires, déplorant « l'inaction de la communauté internationale qui a contribué à l'aggravation de la tragédie ».
L’avocat a mis en garde contre une escalade du conflit en guerre civile et tribale, appelant à la fin des représailles et à l'unité. Il a également exhorté les organisations de défense des droits humains à documenter les crimes et à poursuivre les auteurs devant les tribunaux internationaux afin qu'ils ne restent pas impunis.
De son côté, le journaliste et analyste politique soudanais, Amir Babiker, a affirmé à KUNA que l'entrée des Forces de soutien rapide (FSR) dans une zone s'accompagne souvent de violations documentées et avérées.
Il a ajouté que cela pourrait inciter les communautés internationale et régionale à revoir leurs relations avec les FSR, prévoyant une pression accrue pour les exclure de la scène politique lors de toute future phase de transition.
Du point de vue sécuritaire, Babiker estime que le contrôle de l'ensemble du Darfour ouvre la voie à un risque de partition, tout en soulignant la faiblesse du soutien populaire dont bénéficient les RSF, même au sein de la région.
Il ajoute que « le contrôle d'El Fasher n'entraînera pas de transformation structurelle de la gouvernance. La solution réside dans la paix et un consensus national pour bâtir un État de droit et de citoyenneté, loin de la logique de la guerre et des milices. »
Le contrôle d'El Fasher par les RSF a provoqué l'extension du conflit vers l'est, notamment dans l'État voisin du Kordofan-Nord, où plus de 36.000 civils ont fui leurs villes et villages, selon l'Organisation internationale pour les migrations. Les villes de Bara et d'El Obeid sont le théâtre d'un important renforcement militaire de l'armée et des Forces de soutien rapide (FSR). Des violations et des représailles ethniques ont été signalées à Bara suite à sa reprise par les FSR le 25 octobre.
La prise de contrôle d'El Fasher par les Forces de soutien rapide s'est accompagnée de violations massives des droits humains qui ont suscité une vague d'indignation locale et internationale. Environ 70.000 personnes ont été déplacées de la ville, et des informations font état de civils détenus à l'intérieur de ses murs.
Dans ce contexte, le porte-parole du Comité de coordination des personnes déplacées du Darfour Adam Rijal, a déclaré à l'agence KUNA que la région de Tawila, dans le nord d'El Fasher, avait accueilli environ 700 enfants non accompagnés. Il a alerté sur la détérioration de la situation humanitaire et la hausse des taux de malnutrition chez les femmes, les enfants et les personnes âgées.
Face à l'afflux de milliers de personnes déplacées d'El Fasher vers la région de Tawila, le Fonds koweïtien de secours aux patients, via son Bureau du Nord-Darfour, continue de fournir des services médicaux, nutritionnels et de protection contre les violences sexuelles à travers trois sites d'intervention.
Le coordinateur du bureau de terrain, Mohammed Ahmed, a déclaré à KUNA que le nombre de personnes déplacées ne cesse d'augmenter, la plupart étant des femmes, des enfants et des personnes âgées. Souffrant de malnutrition, de blessures et d'épuisement, les besoins humanitaires des déplacés dépassent les ressources disponibles et nécessitent une réponse plus large.
Parallèlement, le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), géré en partenariat avec les Nations unies, a confirmé la propagation de la famine dans les régions d'El Fasher et de Kadugli après des mois de siège.
Plus de 21 millions de Soudanais souffrent d'insécurité alimentaire aiguë, tandis que quelque 375.000 personnes sont affamées au Darfour et au Kordofan depuis septembre dernier.
Des experts de l'ONU ont averti dans un rapport récent que l'épidémie de famine à El Fasher et Kadugli « aggravera la crise humanitaire déjà dévastatrice »
Médecins Sans Frontières (MSF) a aussi averti qu’« un grand nombre de personnes restent en danger de mort imminent », soulignant que des civils sont toujours piégés et que l’aide humanitaire est délibérément bloquée.
Le coordinateur des urgences de MSF, Michel-Olivier Lacharité, a affirmé que « le nombre de personnes ayant atteint Tawila est très faible… Où sont les autres, qui ont enduré des mois de famine et de violence à El Fasher ? »
« L’explication la plus probable, bien qu’horrible, est qu’ils sont tués ou détenus alors qu’ils tentent de fuir », a-t-il estimé.
Après avoir pris le contrôle d’El Fasher, les FSR ont donné une directive à leurs troupes leur ordonnant de « respecter scrupuleusement la loi, les règles de conduite et la discipline militaire en temps de guerre », insistant sur la nécessité d’assurer « la protection des civils ». Cependant, des organisations onusiennes et de défense des droits humains ont depuis lors signalé des atrocités généralisées, notamment des meurtres et des enlèvements à caractère ethnique.
Des experts de l'ONU se sont dits « consternés par les informations crédibles » faisant état d'exécutions de civils par les Forces de soutien rapide (FSR) à El Fasher, les qualifiant de crimes de guerre « pouvant constituer des crimes contre l'humanité ». Ils ont affirmé que ces attaques ressemblaient aux précédentes campagnes menées par les FSR dans le camp voisin de Zamzam, qu'elles ont pris d'assaut en avril, et à El Geneina, où des milliers de personnes ont été tuées. Ils ont accusé le groupe de cibler certaines tribus « dans le but de les terroriser, de les déplacer et de les anéantir, totalement ou partiellement ».
Face à la coupure totale des communications à El Fasher, le Laboratoire de recherche en sciences humaines de l'Université de Yale a publié des images satellites montrant des exécutions sommaires et des charniers pendant le contrôle de la ville par les FSR. Ces images corroborent les témoignages oculaires d'atrocités commises sur place.
Ces images ont également révélé la disparition d'objets volumineux et le déplacement de véhicules lourds, probablement utilisés pour transporter des corps. Des témoins oculaires ont indiqué que des exécutions de masse ont eu lieu près d'un remblai de terre érigé par les FSR pendant les 18 mois de siège.
Le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale a averti que les atrocités commises sur place, « si elles sont avérées, pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité au sens du Statut de Rome. » (FIN)(M.M.)(R.M.)